Le moment de votre lettre

La nuit est encore là. Le jour tarde à venir. Ce n’est pas un hasard si je suis déjà debout. J’aime me lever tôt. Souvent pour écrire, parfois pour méditer. Ou simplement pour vivre, pour apprécier cet instant suspendu, fragile, ce passage de l’obscurité à la lumière.

L’aube est une merveille. Peu importe le temps qu’il fait, elle est un miracle qui se répète sans cesse, l’offrande d’un jour nouveau, de rêves à accomplir, de tous les possibles.

Ce matin, l’aube est froide. Je le sens par mes pieds nus sur le plancher. Je regarde par la fenêtre de mon bureau, je vois d’épais nuages qui flottent, immobiles, pareils à d’immenses voiliers dans la noirceur du ciel, dans cet hiver qui s’installe par à-coups.

Un vent léger que je devine, à peine perceptible on dirait, bruisse dans les arbres dénudés devant la maison.

La rue est déserte, tranquille. Insouciante.
L’aube semble être figée.
Le temps semble s’être arrêté.
Le temps. Semble s’être. Arrêté.

Je sais qu’il en est ainsi depuis de longs mois. De trop longs mois.

Ce temps qui nous échappe plus que jamais sans pour autant nous faire avancer d’un seul pas. Bien sûr, il y a eu l’accalmie des jours d’été, comme une fausse promesse, presqu’une illusion, et nous revoilà plongés dans cette étrange science-fiction de l’absurde, où la normalité nous fait faux bond une seconde fois.

Et je pense à vous. À vous, mes parents, à vous aussi, mes aînés. Hommes et femmes magnifiques qui, par la force des choses, vous retrouvez isolés plus que jamais dans cette fixation irréelle et indéfinie du temps. Ce temps que vous n’avez plus à perdre. Ce temps précieux que je voudrais pouvoir vous rendre.

J’en suis incapable.

Moi, je suis un être de silence et de solitude, je ne crains pas tant le confinement, ma nature est sauvage.

Mais je ne compte pas, ici. Ou si peu.

Vous. Vous êtes importants et je ne sais rien de vous. Je ne connais rien de vos vies. Car oui, vous avez vécu et votre existence est précieuse. L’existence de chacun et chacune d’entre vous est un joyau rare. Certains l’oublient. Certains ne pensent qu’à leur propre cœur, niant ainsi le cœur des autres.

Naturellement, je n’ai pas connaissance de vos histoires personnelles. Cependant, j’imagine sans difficultés tous ces livres que l’on pourrait écrire avec l’encre de vos années. Je ne sais rien de vos rêves, de vos espoirs, de vos désirs, de vos peurs. S’il y a une seule chose que je sais, par contre, c’est que je tiens à vous. Vous êtes notre sagesse, vous êtes notre mémoire. Vous avez livré vos combats. Vous méritez maintenant la paix et la tranquillité de vivre, vous méritez les étreintes et les sourires de vos proches, les câlins de vos enfants, de vos petits-enfants.

Ce que nous traversons n’est certes pas facile.
Mais. Il faut s’accrocher.
On va y arriver.
Ça aussi, je le sais.

Alors que j’écris ces lignes, la lumière apparait enfin.

À chaque nuit succède un jour. Malgré la grisaille, la brillance transparaît toujours. Le lumineux l’emporte sur l’obscur. Même si ce n’est pas donné. L’espoir du meilleur se doit constamment de dominer la crainte du pire.

Le jour est là, à présent.

Et j’ai simplement envie de vous dire (je sais, ce n’est pas grand-chose), j’ai simplement envie de vous dire que vous comptez pour moi. Que vous comptez pour nous. Vous êtes notre force tranquille, les fondations de qui nous sommes. Nous vous devons de vivre.

À nous, par notre force vitale, par notre force d’aimer, d’être à votre hauteur.

En ce nouveau jour naissant, je vous offre tout mon amour, tous mes respects.

Et bientôt, comme avant, nous nous retrouverons.

Ensemble.

Patrice Godin