Notre retraitée la plus âgée nous a quittés

Je publie ici un texte signé par Céline qui par discrétion ne voulait pas indiquer son nom de famille. Ce texte est dans notre Reflet du mois d’avril 2014. Marie-Jeanne avait alors 98 ans et elle était venue à notre dîner qui rend hommage aux personnes de 75 ans et plus.

En suivant le fil… par Céline
Je peux dire aujourd’hui que je retire beaucoup pour si peu d’investissement : – La joie de donner, même si c’est minime. – Le plaisir de servir. – Le lien tissé avec deux personnes de grande valeur. – Le legs précieux de la sagesse émanant de personnes qui ont bien vécu et beaucoup aimé. – Un sens accru de l’« ici et maintenant ». – L’humilité de constater que j’ai fait et que je fais peut-être une petite différence dans la dernière tranche de vie de personnes devenues chères à mon cœur.

Selon moi, le « Fil d’Ariane » a vraiment sa place dans notre association. Je crois qu’il répond à un besoin à divers degrés. Les personnes plus âgées ne sont pas toutes des « Hélène » ou des « Marie-Jeanne ». Certaines ont beaucoup moins d’autonomie physique, morale et même financière. Certaines souffrent de solitude parce que les enfants sont trop occupés ou les ont carrément oubliées. Souvent, ces personnes se replient, cessent de lutter, abandonnent et creusent ainsi, de plus en plus, le fossé de l’isolement.

La solitude, l’isolement… Il existe sans doute bien des moyens d’atténuer les souffrances liées à ces deux réalités et le « Fil d’Ariane » en est un. Il peut être, grâce à la musique du cœur, un refrain quelconque, une douce mélodie ou une symphonie réjouissante du genre de celle qui me nourrit.

Marie-Jeanne aura 98 ans en juillet. Je continue de goûter sa vivacité d’esprit, son ouverture aux autres et sur le monde, sa joie… À un âge où « le faire » est détrôné par « l’être », elle illustre bellement une merveilleuse façon de savourer la vie.
Je suis entrée au mouvement en 2004 sur la pointe des pieds. Marie-Jeanne aussi d’ailleurs. Je pressentais qu’il me serait donné de vivre une belle aventure mais, comme je ne serais pas la seule concernée, je devais y aller sans bruit, avec douceur et discernement. Les jumelages sont toujours délicats. Connaît-on vraiment son vis-àvis?

La pointe des pieds peut s’avérer très importante pour le ballet classique. Entrer au « Fil d’Ariane » m’a permis l’apprentissage d’une autre sorte de ballet : le ballet du cœur. Les pas se font tantôt discrets, tantôt accentués, tantôt rapprochés, mais toujours ils tendent à libérer la tendresse, l’amitié et l’amour. C’est le cœur qui donne le rythme et la mesure. C’est le cœur qui apprécie la douce mélodie.

À une certaine période, je fus jumelée à deux personnes très signifiantes pour moi. La première fut Marie-Jeanne, prénom doux à mon oreille parce que c’est aussi celui de ma mère (décédée en 2011). La deuxième (décédée en 2013) fut tante Hélène (jumelage d’à peine 2 ans). J’étais choyée, j’étais comblée.

Quand le cœur bat, c’est la vie qui bat et, toujours, la vie nous propulse dans l’action concrète. C’est Saint-Jacques (celui de Compostelle) qui nous dit que « la foi seulement, sans les œuvres, est stérile ». Je continue de croire au mouvement, mais c’est dans le pas à pas quotidien, au fil des événements que je l’exerce, en tout respect pour Marie-Jeanne. Dans le concret, ça se résume à peu de choses, mais j’essaie d’y mettre de la qualité et de la saveur : – Un appel téléphonique : « Comment allez-vous aujourd’hui? » – Une rose à la Saint-Valentin, un lys à Pâques. – Un dîner au restaurant. – Un accompagnement à une activité de l’association ou à un concert. – Un petit présent à Noël ou à son anniversaire. – Un intérêt pour sa santé, son bien-être. – Etc. Le cœur n’a pas de limites, mais sait s’ajuster aux diktats du respect de l’autre et de soi.